L’Histoire du soldat est un mélodrame, dans lequel, récit parlé et musique alternent et se chevauchent. Voici exposées les situations initiales, tirées respectivement du recueil source d’Afanassiev et de l’adaptation de Ramuz :
Extrait de Les contes populaires russes d’Afanassiev, édités par L. Gruel Apert, Maisonneuve et Larose, 1992, volume 1, p.331:
Un soldat demanda un congé, fit ses préparatifs et prit la route. Il marcha, marcha. Il avait besoin d’eau pour tremper ses biscuits secs, mais il n’en trouvait pas et il avait le ventre creux. Tout à coup, il aperçut un ruisseau. Il s’approcha, tira de sa besace trois biscuits qu’il mit à tremper. Ce soldat avait aussi un violon ; il en jouait pour passer le temps. Une fois assis près du ruisseau, il prit son violon et se mit à jouer. Soudain, on ne sait d’où, apparut l’impur, sous la forme d’un vieillard, un livre à la main. « -Bonjour mon brave !- Bonjour bon homme ! » Le diable se contracta en s’entendant appeler bon. « Ecoute, l’ami, faisons un échange : je te donne mon livre ; toi, donne-moi ton violon ! –Qu’est-ce que tu chantes le vieux ? Je n’ai pas besoin de livre. Il y a dix ans que je suis à l’armée et je n’ai pas encore réussi à apprendre à lire et à écrire. Alors maintenant, c’est un peu tard ! -Qu’à cela ne tienne, mon brave ! J’ai un livre tel qu’on a pas besoin de savoir lire pour le lire ! -Ah alors donne que j’essaie. »
Livret de Ramuz:
Entre Denges et Denezy,
Un soldat qui rentre chez lui…
Quinze jours de congé qu’il a,
Marche depuis longtemps déjà.
A marché, a beaucoup marché.
S’impatiente d’arriver,
Parce qu’il a beaucoup marché.
Voilà un joli endroit…
Si on se reposait un moment ?
Mais le fichu métier qu’on a !
Toujours en route, jamais le sou…
C’est ça ! Mes affaires sens dessus dessous !
Mon Saint-Joseph qui est perdu !
(C’est une médaille en argent doré
Avec saint Joseph, son patron, dessus)
Non, tant mieux !…
Va toujours fouillant,
sort des papiers avec des choses dedans,
des cartouches, sort un miroir,
(tout juste si on peut s’y voir)
mais le portrait, où est-ce qu’il est ?
(un portrait de sa bonne amie
qui lui a donné son portrait)
Il l’a retrouvé, il va plus profond,
il sort de son sac un petit violon.
LE SOLDAT
On voit que c’est du bon marché :
il faut tout le temps l’accorder…
(Le soldat se met à jouer : musique.
Entre le diable qui s’approche du soldat par
derrière.)
-Donnez-moi votre violon.
– Non !
-Vendez-le-moi
-Non !
-Changez-le moi contre ce livre !
-Je sais pas lire !
-Pas besoin de savoir lire, c’est un livre, je
vais vous dire, c’est un livre…un coffre-fort.
On n’a qu’à l’ouvrir, on tire dehors des titres,
des billets, de l’or !
-Faudrait m’le montrer d’abord !
-Je suis parfaitement d’accord, dit le vieux
en tendant le livre.
Le soldat ouvre le livre -.. à terme … à vue …
cours des changes. Pas moyen d’y rien
comprendre ! je lis c’est vrai, mais je ne
comprends pas !
-Allez-y toujours, ça viendra (…)