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Dossier pédagogique- Concerto pour violoncelle- Marie Jaëll

Heureux de vous retrouver pour ce premier concert scolaire de la saison 2022/2023! Nous aurons le plaisir d’entendre Emmanuelle Bertrand et les musiciens de l’Orchestre National de Bretagne interpréter le Concerto pour violoncelle de Marie Jaell, une compositrice trop peu connue, ainsi que Elégie, de Gabriel Fauré. Le tout sera présenté par Benoît Menut, compositeur et musicologue. Vous trouverez dans cette page des éléments pour vous préparer au concert (une biographie de Marie Jaell, des guides d’écoute au cœur des œuvres, un focus sur le violoncelle…). N’hésitez pas à prendre contact avec moi pour toute question ou suggestion. Je vous souhaite une belle année musicale!

Hugo Crognier

Enseignant conseiller-relais

hugo.crognier@ac-rennes.fr

 

 

 

 

Marie Jaëll (1846-1925), pianiste, compositrice et pédagogue

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Une pianiste virtuose

La pianiste Marie Jaëll, née Trautmann, a vu le jour le 17 août 1846 à Steinseltz, petit village d’Alsace situé tout près de la frontière avec l’Allemagne. Elle est la fille de Georges Trautmann (1816-1890), agriculteur et maire de Steinseltz. Encore toute enfant, Marie demande avec insistance à apprendre le piano. Elle étudie d’abord avec l’instituteur du village puis, à peine âgée de 8 ans, est envoyée à Stuttgart en Allemagne, pour y poursuivre son éducation musicale. En 1855, son professeur organise un petit concert, elle joue devant Ignaz Moscheles qui lui prédit un grand avenir dans le domaine musical. En 1856, c’est Rossini qui remarque son talent lors d’un concert à Wildbad, ville de cure de la Forêt Noire.

Sa mère l’emmène à Paris pour la présenter à Henri Herz, professeur au Conservatoire de musique de Paris qui accepte de lui donner des cours privés, malgré son jeune âge. En 1862, elle s’inscrit au Conservatoire de Paris, elle y obtient brillamment le premier prix de piano la même année. Parallèlement, elle continue à étudier en Alsace avec Louis Liebe, musicien strasbourgeois connu et professeur réputé.

 

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C’est en Allemagne, à Baden-Baden, ville de cure mondaine proche de Strasbourg qui accueille de nombreux artistes, que Marie va chercher les conseils d’un pianiste de grande réputation, Alfred Jaëll (1832-1882). Alfred est un des tout premiers pianistes européens à être parti en Amérique (il s’y est produit de 1851 à 1854, avec un succès phénoménal). De retour en Europe, il est nommé pianiste de la Cour de Hanovre en 1856. Il y côtoie Brahms et les grands interprètes de son temps (Joachim, Vieuxtemps, Laub, Sivori…). Il est aussi l’ami de Franz Liszt dont il interprète les œuvres avant même qu’elles ne soient imprimées !

Marie épouse Alfred le 9 août 1866 à Paris, et ils mènent depuis Paris une carrière d’interprètes, en mettant à l’honneur tout particulièrement des compositeurs récents, surtout allemands (Liszt, Schumann, Brahms, Beethoven). Alfred meurt à Paris le 27 février 1882, emporté prématurément par le diabète.

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Une compositrice, membre de la Société des Compositeurs de Musique de Paris

“Madame Marie Jaëll ne veut plus qu’on parle de son talent de pianiste, elle dédaigne la virtuosité dont elle est rassasiée et ne vise qu’à la haute composition. Ses premiers essais ont été tumultueux, excessifs, quelque chose comme l’irruption  d’un torrent dévastateur, mais le calme s’est fait depuis dans cette nature trop bien douée ; elle se perfectionne chaque jour dans son art ; elle ne quitte pas de l’œil son but et y arrivera”.

Camille Saint-Saëns avec ces mots décrit bien la vocation nouvelle de Marie: s’affirmer comme compositrice.  Elle confie en 1878 à Anna Sandherr, une amie intime de Colmar:

“Apprendre à composer, passion qui ne me quitte jamais, je me réveille le matin avec elle, je m’endors avec elle le soir. J’ai une idée si haute de mon art que toute ma joie est de lui vouer ma vie sans espérer autre chose que de vivre par lui et pour lui.”

Elle travaille la composition avec Camille Saint-Saëns, Gabriel Fauré. En 1887, avec leur parrainage, elle est l’une des toutes premières femmes admises à la Société des Compositeurs de Musique de Paris. Elle présente avec succès plusieurs de ses œuvres à la Société Nationale de Musique à Paris, lieu de création par excellence de la musique française fondée en 1871.  Franz Liszt l’encourage et soutient la publication des Valses à 4 mains publiées à Leipzig en 1876.

Marie Jaëll a laissé un corpus d’environ soixante-dix œuvres, de divers genres : œuvres pour piano, à 4 mains, concerti, œuvres avec chœurs, avec orchestre, mélodies, poème symphonique, musique de chambre et même un opéra, inachevé, Runéa. Toutes sont à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg.

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Une pédagogue passionnée par la recherche

Le nom de Marie Jaëll est aussi associé à une méthode, appelée Méthode du Toucher, fondée sur la connaissance de la physiologie et le développement de la sensibilité tactile. Marie a en effet mené des recherches approfondies sur le fonctionnement du cerveau et sur les liens qui unissent le pianiste à son instrument.

Elle collabore avec un disciple du Docteur J.-M. Charcot, Charles Féré (1852-1907), physiologiste réputé, médecin chef à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre à Paris. C’est lui qui l’initie à la méthode expérimentale. Il met son laboratoire à sa disposition pour étudier les traces des empreintes laissées par les doigts encrées de ses élèves sur les touches du piano, mesurer le temps de réaction des doigts à un ordre avec le chronomètre d’Arsonval, le plus précis de l’époque. Elle multiplie les expériences tactiles, auditives et visuelles…

 

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Il s’agit de former une décentralisation de la pensée. Au lieu de croire qu’elle est dans la tête on croira qu’elle est dans la tête et dans la main. Il y a une parcelle de pensée partout où il y a sensation. Apprendre à mieux sentir par sa main, c’est apprendre à mieux penser.

Marie Jaell, L’intelligence et le rythme dans les mouvements artistiques

 

Entre 1896 et 1912, elle publie plusieurs ouvrages aux titres très avant-gardistes: La Musique et la psychophysiologie (1896), Le Mécanisme du toucher (1897), L’Intelligence et le rythme dans les mouvements artistiques (1904), Les Rythmes du regard et la dissociation des doigts (1906), Un Nouvel état de conscience et la coloration des sensations tactiles (1910), La Résonance du toucher et la topographie des pulpes (1912). Le titre d’une exposition présentée par la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg et le Conseil général du Bas-Rhin en 1997 résume bien la problématique de Marie Jaëll : De l’art du piano à la science du toucher.

Marie Jaëll meurt à Paris, le 4 février 1925.

Etre femme et compositrice à la fin du XIXème siècle

 

“Un nom d’homme sur votre musique et elle serait sur tous les pupitres”

Tout est dit en ces quelques mots de Franz Liszt à Marie Jaëll… Le statut de femme-compositrice n’allait pas de soi à l’époque. Citons l’historienne Mélanie Traversier, directrice, avec Alban Ramaut, à de publication de l’excellent ouvrage intitulé La musique a-t-elle un genre ? :

Toutes les femmes artistes qu’elles soient musiciennes, autrices, peintres, cinéastes, ont subi les mêmes processus d’invisibilisation – ou en tout cas de disqualification. Si leur stade suprême est l’oubli total, ils passent aussi par des discours qui minorent le rôle des femmes dans l’histoire des arts, les plaçant par exemple sous une tutelle masculine, réduisant ces artistes à n’être que ‘la sœur de’, ‘la fille de…’, ‘l’épouse de…’, ‘la muse de’, ‘la maîtresse de…’ comme on l’a vu avec Germaine Tailleferre, grande compositrice mais souvent qualifiée de ‘mascotte du Groupe des Six’.

On pense à Fanny Mendelssohn (sœur de Félix Mendelssohn) à qui son père Abraham écrivait : “La musique deviendra sans doute pour Felix un métier, tandis que pour toi, elle ne peut et ne doit devenir qu’un agrément, et jamais l’élément déterminant de ton être et tes actes “. On pense à Clara Schumann (compagne de Robert), à Alma Mahler (compagne de Gustav)…

 

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Mais quid de Louise Farrenc, Hélène de Montgeroult, Pauline Viardot, Ethel Smyth? De Lili Boulanger, de Germaine Tailleferre, d’Augusta Holmès, de Mel Bonis? Pourquoi ne retient-on que quelques noms féminins dans l’histoire de la musique (et plus largement, l’histoire de l’art) alors qu’elles sont si nombreuses ?

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Sans doute et avant tout parce que la place d’une femme dans la société était à priori confinée au rôle d’épouse, de mère, de femme dont l’attention devait se porter sur les devoirs de la sphère domestique. Nombreuses sont les femmes, à cette époque, à avoir renoncé à leur propre carrière lorsqu’elles se sont mariées. Ce fut le cas, par exemple, de la cantatrice Amalia Schneeweiss, contrainte d’arrêter sa carrière après avoir épousé le célèbre violoniste Joseph Joachim en 1863.

A l’inverse, certaines femmes ont choisi le célibat pour se consacrer librement à leur vocation musicale ( Nadia Boulanger, Henriette René…). Il arrivait aussi que des hommes apprécient et encouragent leur compagne dans leur vocation! Alfred Jaëll était de ceux-là (sa correspondance avec Franz Liszt en témoigne).

Sur la cinquantaine d’année d’existence de la Société des compositeurs de musique (1862- 1923), il a été dénombré 400 compositeurs: 374 hommes, et seulement 26 femmes compositrices (dont Marie Jaëll).

Notons au passage la différence d’acceptation entre femmes interprètes et femmes compositrices. Qu’une femme joue d’un instrument (en tant que musicienne de salon, ou d’agrément) était tout à fait fréquent et accepté. Qu’une femme s’adonne à l’art lyrique également (la voix et son évocation sensuelle…).

“Une éducation musicale par le chant et le piano devient au cours du XIXème siècle un élément obligatoire de la formation des jeunes filles de la bourgeoisie en pleine expansion, mais cette éducation n’est pas censée déboucher sur une carrière professionnelle”

                                                                                      Florence Launay

Qu’une femme donc interprète la musique,  passe encore, mais qu’elle prétende à une carrière (ou pire, à l’art suprême de la composition musicale) est une autre affaire…

A noter, encore à cette époque, on parlait bien souvent d'”exécution” d’une œuvre musicale. Dans le Dictionnaire de musique de Jean-Jacques Rousseau -publié en 1768-, entre “Intermède” et “Intervalle”, on ne trouve aucune entrée  “Interprète” (mais il y a bien une entrée “Exécutant”).

Saluons l’initiative de Sakira Ventura, professeure de musique espagnole; elle a créé une carte mondiale interactive  qui recense et localise géographiquement de nombreuses femmes compositrices, pour la plupart oubliées… La liste n’est pas exhaustive (et ne peut l’être); la page est consultable en suivant ce lien:

https://svmusicology.com/mapa

 

Le Concerto pour violoncelle de Marie Jaëll (1882)

 

Créé en mai 1882, salle Érard, sous la direction de Charles Lamoureux, le Concerto en fa majeur pour violoncelle de Marie Jaëll a connu une belle carrière au concert. D’abord défendu par son dédicataire, Jules Delsart, il est porté sur la scène du Gewandhaus de Leipzig par le violoncelliste belge Adolphe Fischer.

Ce concerto comporte, selon la tradition formelle du genre, trois mouvements (Allegro moderatoAndantino sostenutoVivace molto).

Initialement, ce programme devait être présenté il y a deux ans, mais la pandémie en a décidé autrement… Toutefois, le premier mouvement a fait l’objet d’une captation vidéo (suivi d’un entretien entre Emmanuelle Bertrand et Marc Feldman, administrateur de l’Orchestre National de Bretagne).

 

 

Les extraits musicaux entendus dans les guides d’écoute qui suivent sont extraits du disque publié en 2015 chez Palazzetto Bru Zane (Brussels Philharmonic, direction: Hervé Niquet, violoncelle solo Xavier Phillips).

Clefs d'écoute - Premier mouvement

 

Le premier mouvement, Allegro moderato, débute aux cordes. Dans le registre grave, les violoncelles et contrebasses font d’emblée entendre le thème principal (accompagnés par les seconds violons et les altos), avant de s’éclipser pour laisser le violoncelle soliste jouer cette même mélodie…

 

Un peu plus loin, à la lettre D (les lettres délimitent les grandes parties dans le conducteur – la partition du chef d’orchestre), la partie de violoncelle est particulièrement virtuose (sextolets de double-croches, très rapide!). On pense au à certains passages du Concerto pour violoncelle de Dvorak…  Une seconde idée mélodique émerge alors, lyrique, insouciante, comme enfantine… Des doubles cordes au violoncelle solo interrompent cette quiétude, puis un passage dramatique, forte, à l’unisson, vient clore cette section.

 

 

Clefs d'écoute- Second mouvement

 

Le mouvement lent qui suit, Andantino sostenuto, est remarquable de délicatesse, notamment grâce à l’emploi de sourdines d’orchestre aux cordes (qui favorise une sonorité en demi-teinte, un timbre plus doux, plus feutré). Notons aussi un mode de jeu qui alterne entre pizzicato et arco

Clefs d'écoute- Troisième mouvement

Le tempo est rapide, Vivace molto.  Les altos entrent énergiques dans une cavalcade de triolets de croches, ponctuée par les violons et violoncelles, qui ne résistent pas et rejoignent les altos dans leur course ! Mouvement ascendant qui  se transmet aux flûtes et clarinettes, en question-réponse avec les violons… Ainsi commence le troisième et dernier mouvement de ce concerto, comme un tremplin pour l’arrivée du violoncelle solo, qui prend son élan vers le thème principal !

 

Introduite par un dialogue entre violoncelle solo et flûte, on trouve à la fin de ce mouvement une cadence, . Il s’agit d’un intermède pendant lequel le soliste n’est plus accompagné par l’orchestre et peut montrer à quel point il est fort! Ici, doubles cordes, arpèges en sextolets de doubles croches, traits virtuoses… Sur le conducteur, il est précisé qu’il existe au moins deux autres versions écrites de la cadence du Concerto pour violoncelle de Marie Jaëll. Dans ce cas, le choix de la cadence revient au soliste…

Focus sur le violoncelle

 

Instrument de musique de la famille des cordes frottées, qui comprend, du plus aigu au plus grave, le violon, l’alto, le violoncelle et la contrebasse.

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Le violoncelle comprend 4 cordes et est accordé en quinte (do-sol-ré-la), à l’octave inférieure de l’alto. Il se tient verticalement entre les genoux, et on lui attribue la viole de gambe pour ancêtre.

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BIBLIOGRAPHIE

 

Diapason n°711 Mai 2022, Les compositrices, Dix siècles de musique au féminin, par Brigitte François-Sappey et Anne Ibos-Augé

 

WEBOGRAPHIE

https://www.mariejaell-alsace.net/biog.htm