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Bruno Philippe (2)©Matthieu Joffres La Grange au Lac

[dossier pédagogique] Au coeur de l’Europe

En octobre 2021, l’Orchestre National de Bretagne accueille le violoncelliste soliste Bruno Philippe pour un programme qui met à l’honneur, entre autres compositeurs, Dvorak et son Concerto pour violoncelle Op.104. Ce programme donne lieu à un concert scolaire, le vendredi 15 octobre à 14h30 au Couvent des Jacobins, à Rennes.

Vous trouverez dans ces pages des éléments sur Antonin Dvorak, le contexte de composition de l’oeuvre et des focus dans la partition avec guides d’écoute intégrés. Autant d’éléments qui vous permettront d’appréhender l’oeuvre avant le concert…

N’hésitez pas à me contacter pour toute question ou suggestion,

Bonnes découvertes, bons concerts!

Hugo Crognier

hugo.crognier@ac-rennes.fr

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Antonin Dvorak et le contexte de composition

Le compositeur

Pour tous les éléments biographiques généraux sur Antonin Dvorak, rendez-vous sur la page du site de la Philharmonie de Paris: https://pad.philharmoniedeparis.fr/0035605-biographie-antonin-dvorak.aspx# ou bien encore, pour plus de précision, Guy Erismann a écrit un livre biographique chez Fayard.

Contexte de composition

Antonin Dvorak se voit proposer, dans un télégramme daté du 5 juin 1891, le poste prestigieux de directeur du Conservatoire national de musique de New-York.

«Voulez-vous accepter le poste de directeur du Conservatoire national de musique de New-York à partir d’octobre 1892? Ainsi que la direction de six concerts? Signé Jeannette Thurber»

Il hésite, car depuis peu il enseigne au Conservatoire de Prague (composition, harmonie, contrepoint) et jouit d’une confortable situation. Il se tourne alors vers ses amis, negocie avec Jeannette Thurber via son avocat, et finit par accepter la proposition.

Le Concerto pour violoncelle et orchestre en Si mineur Op.104 est donc composé à New- York entre le 8 novembre 1894 et le 9 février 1895. Ce concerto est la dernière grande oeuvre écrite par le compositeur aux Etats-Unis. Il existe avant celui -ci une partition d’un premier concerto pour violoncelle datant de 1865, mais il ne fut jamais orchestré par le compositeur…

Hanousch Wihan, membre du quatuor de Bohème et l’un des meilleurs violoncellistes tchèques de son temps, avait accompagné Dvorak (alors au piano) et Ferdinand Lachner (au violon) lors de la «tournée d’adieu du compositeur à sa patrie» (quarante concerts du Trio Dumki en 1892, juste avant son départ vers New-York). C’est ce même Hanousch Wihan qui sollicite le compositeur pour l’écriture d’un concerto pour violoncelle… Dvorak hésite et finit par se décider en écoutant le concerto de son collègue américain au conservatoire, Victor Herbert.

Le concerto ne fut créé à Londres le 19 mars 1896 qu’après le retour de Dvorak en Europe (alors vieilli, fatigué). S’il y a un délai de presque un an entre l’achèvement de la composition et sa création, c’est notamment que Dvorak se brouille avec son interprète Hanousch Wihan, qui, en bon virtuose, souhaite ajouter une cadence au dernier mouvement. Le compositeur s’y oppose et c’est en ces termes qu’il s’adresse à son éditeur:

«Des différences d’opinion nous opposent, mon ami Wihan et moi, en plusieurs endroits. Certains passages me déplaisent dans ses suggestions et il me faut insister pour que la pièce soit imprimée telle que je l’ai moi-même écrite… Je ne vous confierai la tâche que si vous me promettez de n’autoriser personne, pas même notre ami Wihan, à y apporter le moindre changement à mon insu et sans mon consentement, y compris la cadence qu’il a ajoutée au dernier mouvement : celle-ci ne doit figurer ni dans la partition, ni dans l’arrangement pour piano. J’ai d’ores et déjà informé Wihan qu’il n’était absolument pas question de l’ajouter. Le finale progresse, diminuendo, tel un soupir, dans un rappel des deux premiers mouvements. Le solo s’évanouit, pianissimo, pour regagner ensuite son ampleur, tandis que l’orchestre reprend les deux dernières mesures et que la pièce s’achève dans le tumulte. C’est là mon idée et je ne désire pas m’en écarter. » – Dvorak, lettre à son éditeur Simrock

Wihan prend mal les remarques de Dvorak, et la Société philharmonique de Londres prend acte de ce différend en sollicitant un autre soliste de renom, le violoncelliste Leo Stern. Apprenant cela, Dvorak furieux adresse une lettre de protestation au secrétaire de l’orchestre:

«J’ai le regret de vous informer que je ne puis diriger l’exécution du Concerto pour violoncelle, ayant promis à mon ami Wihan que ce serait lui qui le jouerait. Si vous inscrivez ce concerto au programme, sachez que je ne viendrai pas mais serais toutefois heureux de venir une autre fois»

Cette question reste en suspens, et au final le compositeur se fait à l’idée que ce sera bien Leo Stern qui assurera la création de son concerto, et l’accueille ainsi à Londres en février 1896 pour régler des problèmes d’exécution, avant sa création, le 19 mars 1896, au Queen’s Hall.

I. Allegro

L’allegro initial débute par une phrase, à la clarinette, au motif rythmique caractéristique repris de nombreuses fois tout au long de l’oeuvre. Plus qu’une phrase, on pourrait d’ailleurs plutôt évoquer un geste musical, une impulsion…

 

L’hommage à Brahms est ici évident, avec une référence au second mouvement de la Quatrième symphonie (énoncé du thème par les cors):

 

Brahms dira d’ailleurs en écoutant l’oeuvre de Dvorak: « Si j’avais pu imaginer que l’on pouvait tirer de tels accents du violoncelle, j’aurais écrit depuis longtemps un concerto pour cet instrument».

Le début du premier mouvement présente une double exposition assez traditionnelle (héritée du concerto classique), avec d’abord une première exposition à l’orchestre, puis l’entrée du soliste dans une seconde exposition. Voici un guide d’écoute de l’exposition orchestrale initiale:

Après l’exposition à l’orchestre entre le violoncelle solo. C’est lui qui est mis à l’honneur dans ce concerto. On observe dans le guide d’écoute suivant sa façon d’entrer dans le jeu, directe, incisive, ainsi que les difficultés d’exécution de sa partition…

On le voit, on l’entend, l’instrument soliste est mis à rude épreuve, et il lui faut une bonne dose de virtuosité instrumentale pour executer certains passages de ce concerto! C’est le cas mesure 158 où il accompagne les cordes et les bois en sextolets de doubles croches (très rapide!)…

 

Plus tard, le violoncelle chante (on a souvent comparé cet instrument à la voix humaine), molto espressivo, de façon très expressive. Nous ne sommes plus dans la virtuosité ou la performance du passage précédent, mais dans l’émotion d’une mélodie qui se déploie en dialogue avec les flûtes. Le début du thème est exposé en augmentation, c’est-à-dire que chaque durée de note est prolongée (doublée), ce qui donne une sensation de ralentissement…

 

Le soliste, dans un concerto, est mis en avant. Il se place d’ailleurs devant sur la scène à côté du chef d’orchestre. Il a souvent les mélodies principales, comme un personnage en premier plan dans un tableau, mais ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, mesure 240, il prend le rôle de l’accompagnement, en arpège, tandis que flûte et hautbois jouent la mélodie principale, magnifique…

II. Adagio, ma non troppo

Le second mouvement, qui correspond traditionnellement dans le concerto à un mouvement lent (successivement rapide-lent rapide), alterne des mélodies d’une beauté prodigieuse (notamment les dialogues entre le violoncelle solo et les bois de l’orchestre) avec des passages beaucoup plus tempêtueux, en tension (tuttis d’orchestre fortissimo)…

Cet adagio s’ouvre avec un premier thème à la clarinette, accompagnée par hautbois et bassons. Cette mélodie est reprise d’emblée par le violoncelle. L’atmosphère est contemplative, méditative, presque religieuse…

Un puissant tutti d’orchestre colérique surgit alors, comme une réaction du compositeur à tant de douleur exprimée!

 

Puis, immédiatement, apparaît au violoncelle un second thème, une mélodie merveilleuse de beauté et de raffinement… Il s’agit d’une citation d’un passage d’un des Quatre chants opus 82 composés quelques années avant en 1888 (Lass mich allein). De nombreuses interprétations sont aujourd’hui proposées au violoncelle, mais à l’origine, il s’agit bien d’un chant, avec un texte, écrit en 1887 par Ottilie Malybrok-Stieler, dont voici le début:

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Ecoutons la version chantée par Eva Garajova (le passage qui nous intéressé est à 0:48):

Cette mélodie aurait été l’une des préférées de Josefina Cermakova, belle soeur de Dvorak restée à Prague (que le compositeur avait autrefois courtisé). Or, pendant l’écriture de son concerto, Dvorak apprend que Josefina est atteinte d’une grave maladie du coeur. C’est à elle qu’il pense en citant cette mélodie, comme un hommage… Cette citation intervient dans ce deuxième mouvement au violoncelle, accompagné par des formules arpégées aux premiers violons.

III. Finale

Le dernier mouvement débute par un ostinato aux cordes graves, fond sonore pour le début du thème qui est présenté aux cors, repris par hautbois et clarinettes, puis les cordes… Tout cela forme un tremplin vers le violoncelle solo qui expose enfin, dès son entrée, le thème en entier. Il est immediatement repris par l’orchestre…

Le second thème de ce mouvement, en sol majeur, prend les allures d’une ritournelle enfantine…

Le compositeur apprend le décès de sa chère amie Josefina le 27 mai 1895, soit quelques mois après avoir terminé l’écriture de son concerto. Qu’importe, Dvorak décide de remanier sa coda en y incluant, à nouveau, une citation d’un passage du lied Lasst mich allein (déjà cité dans le second mouvement). Cette fois, il cite la toute première phrase du lied, au violon solo, flûtes et clarinettes, sur une note tenue du violoncelle solo. Il signale sans plus d’explication ce changement à son éditeur Simrock le 11 juin «j’ai changé la fin comme elle se trouve ici»…