Piotr Iliytch Tchaïkovski
(1840-1893)
Symphonie n°5 en mi mineur op.64
Date de composition : Eté 1888
Date de création : 5 novembre 1888, à St. Pétersbourg sous la direction du compositeur.
Quatre mouvements
I. Andante. Allegro con anima
II. Andante cantabile con alcuna licenza
III. Allegro moderato
IV. Andante maestoso
« À présent, je suis sur le point d’achever ma symphonie. Je peux affirmer grâce à Dieu qu’elle n’est pas inférieure à l’autre ». Ces quelques lignes que le compositeur adresse au début du mois d’août 1888 à sa mécène, Nadejda von Meck, révèlent la fierté d’un musicien devant le travail accompli. « L’autre », la partition à laquelle il fait référence, a vu le jour dix ans plus tôt. La Quatrième Symphonie a été créée le 10 février 1878.
La nouvelle Symphonie en mi mineur approfondit l’idée du « cycle du destin». Ce thème du destin – du Fatum – exposé dans l’Andante initial évoque une marche lente. L’orchestre prend toute son ampleur dans la seconde partie du mouvement, allegro con anima. La marche devient alors de plus en plus inquiétante. Tchaïkovski emprunte des atmosphères à son opéra, La Dame de Pique. Dans la symphonie, les contrastes sonores donnent l’illusion d’une écriture désordonnée. La maîtrise extraordinaire du rythme, passant de la marche à la valse traduit bien au contraire un sentiment de progression inexorable.
Le mouvement suivant, andante cantabile con alcuna licenza, s’ouvre par le chant du cor porté par les cordes graves de l’orchestre. S’agit-il de l’accompagnement d’un lied d’opéra, d’un poème symphonique au cœur même de l’œuvre ? Le climat pathétique et lyrique de cette page atteint bientôt des paroxysmes sonores. Chaque ligne mélodique paraît mener à la réapparition du thème “fatidique”.
La Valse de l’Allegro moderato feint d’avoir oublié tout élément tragique, comme s’il s’agissait d’une parenthèse pleine de charme et de sérénité. Les cordes laissent progressivement la prima voce à la petite harmonie. Puis, brusquement, le mouvement quitte cette nonchalance pour mêler une progression dramatique à des couleurs pastorales. La valse revient bientôt, envahissant tout l’orchestre, citant elle aussi le thème principal et se forçant à conclure dans un optimisme de façade.
Le final, Andante maestoso, paraît à lui seul un immense poème symphonique. Son côté rhapsodique cumule ainsi des climats opposés, plusieurs thèmes se superposant avec une liberté digne de la Faust Symphonie de Liszt. Le rythme de marche devient un élément fédérateur et nous fait croire que la partition se conclura dans un climat d’apothéose. En réalité, le thème du destin surgit une fois encore. Il détruit avec violence toute forme de logique interne. L’écriture se réfugie dans la démesure pour mieux dissimuler l’angoisse et les doutes du musicien.
À l’issue de la création de la symphonie, la réaction du public fut enthousiaste, mais la critique éreinta la partition qu’elle jugea vulgaire, notamment à cause de l’emploi détourné de la valse. D’un tempérament particulièrement influençable, Tchaïkovski considéra dorénavant l’œuvre comme la moins réussie de ses symphonies, se confiant à sa bienfaitrice : « Après chaque exécution, j’en arrive à être de plus en plus fortement convaincu que cette symphonie est une œuvre manquée. La conscience de cet échec fortuit m’afflige grandement ».