Le jeudi 16 décembre 2021, l’Orchestre National de Bretagne accueille le pianiste Simon Ghraichy pour le programme ¡Celebraçion!
Au programme le Prélude Bacchanas Brasileiras n°4 de Heitor Villa-Lobos, la Rhapsodia negra de Ernesto Lecuona et une création mondiale, Fractalis, concerto pour piano, de la compositrice Gabriela Ortiz… Un beau voyage en perspective, de La Havane à Rio (sans bouger du Couvent des Jacobins !). Vous trouverez dans cette page des ressources afin de préparer vos élèves au concert scolaire, tout particulièrement sur les Bacchianas Brasileiras et sur le patrimoine musical lusophone à destination des élèves en portugais du Lycée Chateaubriand de Rennes…
N’hésitez pas à me contacter pour toute question ou suggestion…
Bonne lecture, bon concert!
Hugo Crognier
hugo.crognier@ac-rennes.fr
Quelques questions au pianiste Simon Ghraichy
Partie 1 - Heitor Villa Lobo, Bachianas Brasileira n°4
«…Je suis Brésilien, très Brésilien. Dans ma musique je laisse les rivières et les mers de ce grand Brésil chanter. Je ne bâillonne pas l’exubérance tropicale de nos forêts et de nos ciels, que je transpose intuitivement sur tout ce que j’écris.»
« Votre chant vient du plus profond de l’arrière-pays, telle une brise qui adoucit le cœur ».
I- Le compositeur
Heitor Villa-Lobos (1887-1959) est un compositeur né à Rio de Janeiro. Son père lui apprend les bases du violoncelle, qui sera son instrument de prédilection. Il apprend aussi la guitare, en autodidacte. Villa-Lobos a consacré une partie de sa vie à parcourir le Brésil à la découverte du folklore de son pays, mais il était aussi fasciné par la musique européenne, et en particulier celle de Jean-Sébastien Bach.
A- Un musicien autodidacte et passionné
Dès 1905, il se passionne pour les traditions musicales brésiliennes et participe à plusieurs missions ethnomusicologiques de collectes de chants indigènes. Il présente ses premières compositions en 1915 et séduit par la grande originalité de son écriture musicale aussi bien le public que les interprètes — le pianiste Arthur Rubinstein est un de ses grands admirateurs — ou les institutions. Il bénéficie aussi d’une bourse du gouvernement brésilien en 1923 qui lui permet de partir pour l’Europe durant sept ans. Il entreprend aussi de nombreux voyages en Afrique noire, dont il étudie les traditions musicales.
B- Une vocation de pédagogue
Au lendemain de son retour au Brésil, en 1930, il est nommé surintendant de l’Éducation musicale dans les écoles publiques de Rio de Janeiro. A l’instar en quelque sorte de Zoltán Kodály en Hongrie, il révolutionne l’enseignement de la musique au Brésil en s’appuyant sur les ressources du chant traditionnel et en privilégiant la voix et le chant. Au sein de son Académie de musique brésilienne, fondée en 1945, il supervise également la constitution d’un important fonds de partitions de musique traditionnelle de son pays.
C- Un compositeur original et inspiré
Extrêmement prolifique, Heitor Villa-Lobos laisse plus de 2 000 oeuvres, s’illustrant dans tous les genres musicaux. Son style puise à de nombreuses sources européennes(Jean Sébastien Bach dans les neuf Bachianas brasileiras, 1930-1944) et brésiliennes(quinze Chôros, 1920-1929, issus d’une danse populaire). Se démarquant toutefois du matériau populaire dont il s’inspire, il s’emploie à le transcender en en restituant le substrat mélodique et rythmique (les « mélorythmes ») dans des thèmes et des compositions très personnels.
Il dirige lui-même les créations en concert de ses œuvres et mène à partir de 1944 une carrière de chef d’orchestre aux États-Unis, en France et au Brésil, qui contribue pour beaucoup à la popularité de son œuvre . En 1959, il fait partie du jury du Concours International Pablo Casals à Mexico. Voyage en Europe et aux États-Unis. Sa santé se détériore à partir du mois de juillet, il meurt à Rio de Janeiro le 17 novembre.
II- L'oeuvre
A- Les Bachianas Brasileiras
Après la composition de la série des Choros, Villa Lobos compose les Bachianas Brasileiras de 1930 à 1945. Il en écrit 9 pour des formations instrumentales diverses:
➢ N°1: orchestre de violoncelles
➢ N°2: orchestre symphonique
➢ N°3: piano et orchestre
➢ N°4: piano (orchestrée plus tard par Villa Lobos lui-même)
➢ N°5: soprano et 8 violoncelles
➢ N°6: flûte et basson
➢ N°7 & 8: orchestre symphonique
➢ N°9: orchestre à cordes (il existe aussi une version pour choeurs).
On pourrait dire que Villa-Lobos a cherché à faire de la musique brésilienne en utilisant la musique de Bach. D’ailleurs, le nom même de Bachianas utilise le nom du Cantor de Leipzig, en y ajoutant une terminaison typiquement brésilienne. Le concept est annoncé d’emblée: chercher une fusion entre le langage savant des compositions de JS Bach et les musiques populaires brésiliennes. D’ailleurs, chaque Bachiana porte un double titre qui exprime cette dualité entre deux univers musicaux: d’une part une forme utilisée par Bach (faisant appel aux suites de danse-prélude, gigue…- ou de cantates -aria- en usage à l’époque baroque), et d’autre part le type de musique brésilienne auquel Villa-Lobos associe ces formes: modinha, canto do Sertao…
B- Bachianas Brasileiras n°4
La Bachianas Brasileiras n°4 est à l’origine écrite pour piano seul et a été composée sur plusieurs années entre 1930 et 1936. La création mondiale a lieu le 27 novembre 1939 (avec José Vieira Brandao au piano). Villa-Lobos l’adapte pour orchestre en 1941, c’est cette version orchestrée que nous entendrons lors du concert du 16 décembre.
Dans sa globalité, cette Bachiana se construit en quatre parties:
-Preludio (Introduçao)
-Coral (Canto do Sertao, chant de la brousse)
-Aria (Cantiga)
-Dança (Mudinho)
Le Prélude, que nous allons entendre lors du concert scolaire, évolue dans la tonalité de Si mineur. Si l’on en croit Marc-Antoine Charpentier, qui a établi une liste des propriétés expressive de chaque mode (s’inspirant en cela du modèle musical grec de l’ethos des modes), le mode de Si mineur exprime un caractère solitaire et mélancolique. Cela se confirme à l’écoute du morceau, qui est d’une tristesse absolue… Le début de ce Prélude est une référence directe à la Partita 6, BWV 830, de JS Bach. Comparons les débuts de ces deux morceaux (en choisissant la version initiale de la Bachiana Brasileira n°4, pour piano). On observe les mêmes élans mélodiques ascendants sous forme d’arpèges, résolus par un mouvement descendant conjoint.
Partita 6, BWV 830, Jean Sébastien Bach
Bachiana Brasileira n°4, version piano
Lorsque Villa-Lobos adapte cette Bachiana pour orchestre, il choisit de ne faire jouer dans le Prélude que les instruments de la familles des cordes frottées (violons, altos, violoncelles, contrebasses). Le premier violon prend régulièrement le rôle de soliste.
Partie II- Introduction aux musiques du Brésil, brassages culturels et métissages Le
Le Brésil n’est pas seulement le pays de la passion du football, mais aussi un pays de musiques et de danses ! Vaste pays (presque 16 fois plus grand que la France!), le Brésil est une terre d’immigration, aux innombrables styles musicaux, qu’ils soient ruraux ou urbains, et ces musiques sont le résultat d’un grand métissage culturel…
I- De l'empreinte de la culture portugaise au Brésil
A/ Un peu d’histoire… le traité de Tordesillas
Le Xvème siècle est celui des grandes découvertes, le monde s’élargit… Parmi les grands explorateurs, on trouve Christophe Colomb, Vasco de Gama, Fernand de Magelan ou encore Jacques Cartier… Voici une vidéo qui explique le déroulement historique de la colonisation du Brésil par le Portugal…
B- Connexions culturelles et musicales entre le Portugal et le Brésil
« Il est possible d’entendre la même nostalgie et la même triste gaieté dans les mélodies des banlieues de Lisbonne et dans celles de Rio de Janeiro »*.
Au Portugal, on trouve le mot saudade, qui n’a pas son équivalent en français et qui désigne un sentiment de mélancolie empreinte d’espoir, un mélange de tristesse et de joie… C’est ce qui caractérise le fameux fado portugais, à qui d’ailleurs certains attribuent une origine brésilienne.
Piste pédagogique
Comparer un morceau de fado portugais, par exemple Fado portugues de Amalia Rodrigues avec un morceau brésilien, par exemple Carinhoso de Marisa Monte… (mélodies à la guitare, similitudes dans le caractère, l’état d’âme…).
*SCHIC Anna Stella, Villa Lobos, Souvenirs de l’indien blanc, Actes Sud, 1987
Il existe ainsi un lien évident entre les musiques populaires et traditionnelles brésiliennes et portugaises (lignes mélodiques, système tonal et harmonique, textes poétiques des chansons…). Il existe aussi un instrumentarium commun…
➔ La viola, instrument national brésilien, est la guitare la plus populaire d’origine portugaise, en général à cinq paires de cordes métalliques.
➔ Le cavaquinho est un instrument d’origine portugaise à quatre cordes pincées, plus petit en taille que la guitare.
➔ Le pandeiro, instrument de percussion hispano-portugais, a lui aussi été adopté au Brésil.
II- De l'empreinte de la culture africaine au Brésil
A/ L’esclavage et le commerce triangulaire
Au Brésil, l’esclavage a débuté dans la première moitié du XVIème siècle, avec la production de sucre. Les trafiquants portugais amenaient les noirs de leurs colonies d’Afrique (Angola, Mozambique…) et les vendaient comme marchandises pour qu’ils soient utilisés comme esclaves dans les exploitations sucrières du Nord-Est. De l’Afrique vers le Brésil, le transport des esclaves se faisait dans les cales des navires négriers. Entassés, dans des conditions inhumaines, beaucoup mouraient avant d’arriver au Brésil et leurs corps étaient jetés à la mer.
Cela s’est déroulé dans un système commercial plus large, appelé commerce triangulaire: les pays européens affrétaient des navires qui se rendaient en Afrique. Là, les européens échangeaient des marchandises contre des esclaves africains, puis se dirigeaient vers l’Amérique pour vendre les esclaves contre du sucre, du café, du coton qu’ils apportaient en Europe, ainsi de suite.
Les historiens estiment qu’environ 12 millions d’esclaves ont été importés d’Afrique dans les Amériques entre le début du XVIème siècle et la fin de la première moitué du XIXème siècle. Parmi eux, environ 4 millions d’esclaves sont arrivés au Brésil. Bien que la traite atlantique ait été décrétée illégale en 1831, la traite négrière ne fut abolie au Brésil qu’en 1850, et l’esclavage ne fut aboli que le 13 mai 1888, lorsque la princesse Isabel, fille de l’empereur dom Pedro II, signa la «loi Aurea».
B/ Connexions culturelles et musicales entre l’Afrique et le Brésil
L’héritage africain est ainsi considérable dans tout le Brésil, et tout particulièrement dans les Etats du Sud-Est, du Nord et du Nord-Est. «D’une façon générale, on reconnaît le fort apport bantou (de l’Angola, du Congo et du Mozambique) pendant les deux premiers siècles de l’esclavage et celui des Yorumbas, Fons, Ewés et Achantis (venant du Nigeria, du Bénin et du Ghana) pendant la dernière période de l’esclavage (1700-1850 environ).**»
L’une des danses et musiques afro-brésiliennes les plus connues et répandues est la fameuse capoeira. Véritable art martial à l’origine, elle s’est transformée pendant le Xxème siècle en un jeu chorégraphique imitant la lutte entre deux adversaires. L’art de la capoeira s’est développé à Bahia, Recife et Rio de Janeiro pendant l’esclavage et est représentatif d’une esthétique afro-brésilienne.
** BEHAGUE Gérard, Musiques du Brésil, De la cantoria à la samba-reggae, Cité de la musique, Actes sud, 1999
La plupart des instruments d’origine africaines sont des membranophones ou des idiophones. Les instruments à cordes ou à vent sont moins nombreux.
Le berimbau est un des instruments de musique joués dans la capoeira. On en joue en frappant une corde métallique avec une baguette en bois en même temps que l’on secoue le caxixi, une espèce de petit panier rempli de graines. Le résonnateur en calebasse est appuyé sur le ventre du musicien, pour obtenir des variations de timbre et d’intensité. Il est certainement d’origine angolaise.
Les tambours de provenance africaine sont très nombreux. Tambu, cadete, quinjengue, mulemba, guzunga désignent parmi d’autres des tambours de différentes formes et tailles. L’apport africain dans la musique brésilienne est essentiellement rythmique. Les rythmes des musiques de danse brésiliennes sont imprégnés de l’Afrique ( par exemple l’accompagnement syncopé de la fameuse samba, dont l’étymologie du nom provient d’un dialecte de langue angolaise).
III- Musique des peuples indigènes du Brésil
A/ Les peuples autochtones du Brésil
Les peuples autochtones comprennent un grand nombre de groupes ethniques distincts qui habitaient la région avant l’arrivée des Européens aux environs de 1500. A la suite de Christophe Colomb, qui pensait avoir découvert les Indes orientales, les premiers explorateurs portugais les appelèrent Indiens, un nom encore utilisé au Brésil.
Le mode de vie de ces tribus semi nomades se fondait sur la chasse, la pêche, la cueillette et l’agriculture de subsistance. Beaucoup de ces groupes se sont assimilés aux modes de vie des autres habitants du Brésil, mais certains ont perpétué leurs traditions, et nous trouvons encore aujourd’hui des peuples autochtones dans des endroits retirés de la forêt amazonienne.
B/ La musique des tribus indigènes
Les populations indigènes d’Amazonie sont relativement isolées. La plupart des ethnies sont de petites tailles, et ont été confrontées à divers phénomènes de destruction (colonisation étrangère, acculturation, déforestation…). Il y a donc assez peu d’enregistrements sonores disponibles (et souvent de mauvaise qualité). Des expéditions ont été menées dans l’histoire, par des voyageurs, missionnaires, religieux, chercheurs scientifiques. Notons la richesse des recherches menées par le département Ethnomusicologie du Musée de l’Homme, par Gilbert Rouget notamment. La musique amérindienne démontre un caractère collectif, fonctionnel, circonstanciel. En symbiose avec l’élément naturel, la forêt, et la vie quotidienne du village, la musique amérindienne est le plus souvent indissociable de la danse. La voix est centrale, et est accompagnée d’instruments tels que sifflets, flûtes, tambours et hochets.
Par exemple, le musique Ngre-re est liée aux cérémonies des amerindiens Kaiapo. Dans l’extrait audio suivant, nous pouvons entendre un chanteur, des sons quotidiens du village en arrière plan (enfants, coq…), tandis que les percussions imitent les sons de la forêt. Le caractère est rituel, sacré. Une résonance magique se dégage de ces chants, comme un lien entre l’homme et la forêt…
L’influence de la musique des indiens d’Amazonie sur les autres musiques du Brésil a été relativement faible, du fait de l’isolement géographique et culturel de certaines ethnies, qui ont toujours refusé de se laisser approcher, tout particulièrement par l’homme blanc. Les interférences, les échanges, les emprunts entre ces populations et populations étrangères (européennes, africaines) sont assez faibles.
Piste pédagogique
Analyse de la chanson Canto das três raças, de Clara Nunez, dont le titre fait référence aux trois composantes du brassage culturel brésilien (indiens, noirs et blancs).
Texte en portugais du Brésil
Ninguém ouviu
Um soluçar de dor
No canto do Brasil
Um lamento triste
Sempre ecoou
Desde que o índio guerreiro
Foi pro cativeiro
E de lá cantou
Negro entoou
Um canto de revolta pelos ares
No Quilombo dos Palmares
Onde se refugiou
Fora a luta dos Inconfidentes
Pela quebra das correntes
Nada adiantou
E de guerra em paz
De paz em guerra
Todo o povo dessa terra
Quando pode cantar
Canta de dor
Ô, ô, ô, ô, ô, ô
Ô, ô, ô, ô, ô, ô
Ô, ô, ô, ô, ô, ô
Ô, ô, ô, ô, ô, ô
E ecoa noite e dia
É ensurdecedor
Ai, mas que agonia
O canto do trabalhador
Esse canto que devia
Ser um canto de alegria
Soa apenas
Como um soluçar de dor
Traduction en français
Personne n’a entendu
Un sanglot de douleur
Dans le chant du Brésil
Une plainte triste
A toujours résonné
Depuis que l’Indien guerrier
Est allé en captivité
Et de là a chanté
Le «nègre» a entonné
Dans l’air un chant de révolte
Au Quilombo dos Palmares
Où il s’est réfugié
A part la lutte des “Inconfidentes”
Pour qu’on brise les chaînes
Ça n’a servi à rien
Et de guerre en paix
De paix en guerre
Tout le peuple de cette terre
Quand il le peut
Chante de douleur
Ô, ô, ô, ô, ô, ô
Ô, ô, ô, ô, ô, ô
Ô, ô, ô, ô, ô, ô
Ô, ô, ô, ô, ô, ô
Et il résonne nuit et jour
Il est assourdissant
Ici, plus que l’agonie
La chant du travailleur
Ce chant qui devait
Etre un chant de joie
Résonne seulement
Comme un sanglot de douleur
Clefs d’écoute et de compréhesion
Quilombo dos Palmares : Communautés d’esclaves du Nord-Est brésilien en fuite qui a résisté, tout au long du XVIIème siècle, aux expéditions holandaises et portugaises qui tentait de mettre fin à ce mouvement d’insoumis. La « république nègre des Palmares » ne sera vaincue qu’en 1695 avec la mort de ses derniers défenseurs et de son dernier chef, Zumbi.
Inconfidência : l’inconfidencia mineira était un mouvement séparatiste infructueux au Brésil en 1789, inspiré par les idéaux des philosophes français des lumières et par la Révolution américaine réussie de 1776. Certains acteurs de ce mouvement étaient favorables à l’abolition de l’esclavage.