Il existe un malentendu avec l’œuvre de Moussorgski. Nombre d’orchestrateurs se sont penchés sur ses œuvres achevées, les estimant maladroites. C’est d’ailleurs grâce à l’un d’entre eux, Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) que Moussorgski connut la gloire. En effet, bien des témoins évoquent le souvenir d’un artiste inouï, passant de l’exaltation à l’abattement, de l’ivresse – plus souvent que d’autres – à l’apathie. Dans ses Chroniques de ma vie musicale, Rimski-Korsakov le décrit avec autant d’admiration que de mépris, accentuant le trait de l’imbécile inculte et alcoolique pour mieux valoriser son travail. Tous ont a cœur d’aider le “pauvre” Moussorgski, musicien vivant d’expédients, laissant un fatras de pièces inachevées d’où émergent pourtant des joyaux : les Tableaux d’une exposition pour piano (l’orchestration fut réalisée par Ravel et bien d’autres compositeurs), mais aussi les opéras Boris Godounov et La Khovanchtchina tant remaniés par la suite et, enfin, La Nuit sur le Mont Chauve.
Le titre original de cette œuvre orchestrée tout d’abord par Moussorgski lui-même est Une nuit de la Saint-Jean sur le mont Chauve. Elle fait appel à un baryton, deux chœurs, dont l’un composé d’enfants et à l’orchestre symphonique. Ce poème symphonique s’inspire de la fantasmagorie populaire. Lors de la nuit du solstice d’été, les paysans de Kiev placent des orties à leur fenêtre. De la sorte, ils éloignent les sorcières, laissant ces funestes créatures mener leur sabbat d’enfer. En 1858, Moussorgski songea même à composer un opéra sur cette idée après avoir lu la nouvelle La Nuit de la Saint-Jean extraite des Nouvelles Ukrainiennes de Nicolas Gogol. D’autres idées aidèrent Moussorgski, comme la Danse macabre de Franz Liszt et le drame Les Sorcières de Georges Mengden. Le musicien établit le plan de l’œuvre ainsi : assemblée de sorcières, commérages et caquetages – cortège de Satan – glorification impie de Satan – Sabbat. Une fois la composition achevée, en 1867, il précisa: « la forme et le caractère de mon œuvre sont russes et originaux. Le ton général est emporté et désordonné ».
En 1886, après de substantielles révisions, Moussorgski se décida à faire jouer sa partition. Rimski-Korsakov le lui déconseilla fortement. A ses oreilles, l’œuvre souffrait, en l’état, d’harmonies crues, de maladresses, de déséquilibres inacceptables. Il se chargea de remanier de fond en comble la structure de la pièce et son orchestration, qui devint aussi grandiose que “civilisée”. Naquit un chef-d’œuvre, assurément, tant le génie de Rimski-Korsakov est puissant, mais qui offre une approche très différente de la violence expressive et païenne de la partition originale.
A Lire
« Moussorgski » par Xavier Lacavalerie (ed. Actes Sud / Classica, 2011).