Brahms ne s’était intéressé à la forme symphonique que tardivement, alors qu’il avait dépassé la quarantaine, reculant sans cesse ce qu’il considérait être un défi musical insurmontable après le cycle des symphonies de Beethoven. Dans les années 1850, il céda finalement à la pression affectueuse de Robert Schumann. Presque deux ans après la création triomphale de sa Troisième Symphonie (1883) sous la baguette de Hans Richter (1843-1916), le compositeur dirigea sa nouvelle partition en mi
mineur à Meiningen, le 25 octobre 1885. Elle fut sa dernière grande oeuvre pour orchestre
avant le Double Concerto pour violon et violoncelle de 1887.
Les deux premiers mouvements de la Quatrième Symphonie datent de 1884 et les deux derniers de 1885. La Quatrième Symphonie connut un véritable triomphe auprès du public et de la critique qui vit dans cette oeuvre une suite “logique” à la symphonie précédente. Assurément, le succès s’explique aussi par l’humeur fougueuse de la partition et son étonnante vitalité rythmique. Toutefois, la Quatrième Symphonie s’avère plus proche de la Seconde Symphonie que de la Troisième. En effet, l’une et l’autre possèdent une clarté polyphonique qui suspend bien des conflits intérieurs si présents dans les Première et Troisième Symphonies. La richesse des couleurs orchestrales de la Quatrième, son originalité thématique contrastent avec une structure profondément “classique”. Elle peut être qualifiée de symphonie “élégiaque”, mais aussi de symphonie “automnale”. En effet, ses couleurs demeurent marquées par les atmosphères poétiques des pays du Nord de l’Europe. Les thèmes méditatifs, l’impression de solitude et de mélancolie puisent leur source également dans une écriture classique. La pensée de Brahms se révèle assez proche de Bach autant dans l’emploi de la chaconne que d’une tonalité en mi mineur assez inhabituelle dans l’histoire de la symphonie “romantique”.
L’Allegro non troppo en mi mineur introductif expose un premier thème presque plaintif aux violons. La tension ne cesse de croître, renforcée par les octaves brisées des vents. Les changements brutaux d’atmosphères, l’entrelacs des thèmes secondaires évoquent à la fois la chaconne et l’écriture de Dvorak. En effet, aux contrastes cuivrés succèdent des phrases lyriques aux cordes. On songe également à Un Requiem Allemand avec une amplification du thème initial et une coda portée par un fortissimo obstiné. L’Andante moderato en mi majeur qui suit, possède des traits archaïques, sinon une volonté évidente de Brahms – Allemand du Nord – de faire partager sa passion des contes et des légendes. La dimension populaire s’associe à un tempérament austère, presque militaire et au parfum des folklores les plus anciens. Le motif énoncé aux cors devient un thème chaleureux aux cordes avant que les pupitres graves et les bois enveloppent l’orchestre d’une mélodie souple, intériorisée et au caractère profondément mystérieux. La coda relie les deux thèmes qui s’évanouissent progressivement dans l’un des plus beaux mouvements lents de Brahms. Ce sont des landes grises, des plaines immenses que l’on découvre tout au long de cette page.
L’Allegro giocoso en Ut majeur rappelle l’esprit du scherzo. Le rythme est assuré par une verve populaire et son climat optimiste règne sans partage bien que l’on croise quelques sarcasmes et une énergie parfois démoniaque. Cette gaieté turbulente qui prend aussi les accents d’une fanfare (l’orchestre est augmenté d’un piccolo, d’un contrebasson et d’un triangle) se construit dans une impressionnante architecture encore héritée de la chaconne classique.
Le finale se développe sous la forme d’une suite de variations, trente-cinq au total, très strictes sur le plan de l’écriture, mais dont la rigueur s’évanouit miraculeusement à l’écoute. Cet Allegro energico e passionato en mi mineur se construit sur un thème emprunté à la cantate BWV 150 “Nach dir, Herr verlanget mich” de Jean-Sébastien Bach alors inédite à l’époque, mais dont le compositeur était l’heureux possesseur du manuscrit ! Huit mesures d’accords de cuivres introduisent ce mouvement. Les variations se juxtaposent, bâtissant le cadre d’une autre symphonie au sein même de la partition. Brahms crée ainsi une oeuvre novatrice en utilisant une forme et une écriture classique gorgée d’éléments issus du Baroque.
A LIRE
Johannes Brahms par Stéphane Barsacq (ed. Actes Sud / Classica, 2008)