Antonín Dvořák
(1841-1904)
Quatuor à cordes en fa majeur n°12 op.96 dit “Américain”
Date de composition : du 8 au 23 juin 1893 à Spilville, Iowa, États-Unis.
Date de création : 1er janvier 1894, à Boston par le Quatuor Kneisel.
Quatre mouvements
Spilville est une petite ville de l’Iowa. Dans cette localité, Dvořák compose son quatuor à cordes en fa majeur et qui deviendra son plus célèbre opus de musique de chambre. La partition comme la Symphonie du Nouveau Monde composée quelques semaines plus tôt, demeurent les seuls liens qui le rattachent à sa Bohème natale. En effet, l’année précédente, Dvořák était arrivé à New York où il avait accepté de prendre la direction du nouveau conservatoire national de musique. C’était la première fois qu’un musicien européen de stature internationale s’installait pour quelque temps aux États-Unis. Rapidement lassé par le vacarme de New York, Dvořák choisit de s’installer au sein de la petite communauté tchèque de Spilville.
Les partitions qui voient le jour durant cette période revêtent un indéniable caractère thérapeutique. Certes, Dvořák n’est pas isolé de sa langue maternelle et l’aura qui l’entoure n’apporte pas que des désagréments. Ainsi, les rares interviews qu’il donne aux journalistes américains sont révélatrices de sa notoriété et, ses réponses, de sa personnalité : “est-ce que Dvořák peut contribuer à créer une musique américaine ” ? Une question aussi stupéfiante qui explique d’autant mieux les influences réelles et supposées que le Quatuor Américain exercera dans l’histoire américaine. Dvořák répond fort modestement aux journalistes que ces disciples – si toutefois il devait en former – seraient en toute logique les véritables fondateurs de la musique américaine… En réalité, la musique américaine n’existe pas encore.
Dans les années 1890, les communautés indiennes et noires sont étrangères les unes aux autres, mais les harmonies et les rythmes nouveaux subjuguent Dvořák. Il les emprunte, les colore, les transforme comme il l’a toujours fait avec les sources folkloriques de sa propre culture d’Europe Centrale. Il semble que durant le long séjour à Spilville, il ait entendu à plusieurs reprises des danses et chants de tribus d’indiens qui l’ont profondément marqués.
Le Quatuor Américain naît dans la campagne de l’Iowa, loin des turbulences des grands centres industriels. Dvořák l’achève en si peu de temps qu’il écrit sur la dernière page du manuscrit : « Dieu merci, j’ai terminé, je suis content, cela a été rapide. » L’alto comme dans de nombreuses compositions du musicien ouvre le premier thème de l’allegro ma non troppo. Cet instrument est au cœur de la musique tchèque et particulièrement dans l’œuvre de Dvořák : il est la voix du compositeur, le traducteur de ses pensées les plus intimes. Les deux thèmes qui se développent font songer à des chants folkloriques. Toutefois, leur contraste si violent est maîtrisé par la fluidité et l’élégance de l’écriture. Ce sont ainsi des paysages qui défilent devant nos yeux, probablement ceux que Dvořák aimait lorsqu’il se promenait dans la campagne de l’Iowa en compagnie de ses compatriotes tchèques.
Le Lento qui suit repose sur une cantilène développée sur le principe de la variation. Les couleurs en sont imprimées par l’archet du premier violon ; il tient les rênes de cette promenade mystérieuse, plus proche de la berceuse tchèque que des rythmes de la petite ville de l’Iowa.
Le troisième mouvement, molto vivace, mêle les pas d’une danse populaire à une prière entrecoupée par le pépiement d’un oiseau, le Tanager rouge, joué au premier violon. L’auditeur éprouve le sentiment d’un tableau d’impressions successives, l’esquisse au fusain d’un univers attachant même s’il exprime un fond de nostalgie.
Le finale Vivace ma non troppo est comme une danse, lancée par le premier violon. Il se colore de teintes à la fois délicates et lumineuses. La beauté et la dimension humaniste de la partition évacuent toutes les angoisses existentielles pour ne préserver que l’originalité du langage musical.