Retrouvez tous les contenus numériques de l’orchestre ligne (replay, concerts, live, podcasts…).
Découvrez toutes les ressources pédagogiques, les projets d'éducation artistique et culturelle, les concerts scolaires.
Explorez les coulisses de l’orchestre, ses partenaires et les ressources presses.
En savoir plus sur le mécénat d’entreprise, le mécénat des particuliers et les projets à soutenir.
Gustav Mahler
(1860-1911)
Kindertotenlieder
Cinq Lieder.
Date de composition : 1901 (Nun will die Sonn’ so hell aufgehn / Wenn dein Mutterlein / Oft denk’ ich, sie sind nur ausgegangen) et 1904 (Nun seh’ich wohl, warum so dunkle Flammen / In diesem Wetter, in diesem Braus)
Date de création : 29 janvier 1905, dans la petite salle du Musikverein de Vienne.
« Ce qu’expriment ces lieder est d’une telle tristesse que j’ai souffert de devoir les composer et que je souffre pour ceux qui devront les entendre ». Gustav Mahler décrit ainsi les trois premiers Kindertotenlieder lorsqu’il les interprète au piano devant son amie Natalie Bauer-Lechner. Les poèmes de Friedrich Rückert (1788-1866) qui ont inspiré ces “Chants pour les enfants morts” l’ont, en effet, bouleversé. Il se représente en musique l’abîme de douleur de l’écrivain qui avait perdu deux de ses cinq enfants. Mahler songe aussi à son jeune frère Ernst disparu à l’âge de treize ans – l’un des enfants de Rückert se prénommait également Ernst – alors qu’il venait d’entrer au Conservatoire de Vienne.
Mahler n’a pu pressentir le drame qui allait le frapper en 1907. Anna Maria, sa fille aînée fut emportée en deux semaines par la scarlatine, la même maladie qui avait tué les enfants Rückert en 1833. En effet, les trois premier lieder datent de 1901 et les deux derniers furent composés en 1904 Le cycle ne fut achevé qu’à la demande d’Arnold Schoenberg et d’Alexander von Zemlinsky, tous deux membres de la Vereinigung Schaffender Tonkünstler dont Mahler était le président d’honneur. La toute jeune société ne disposait pas des fonds nécessaires pour créer la Cinquième Symphonie que Mahler venait d’achever (la première eut lieu à Cologne, le 18 octobre 1904). En revanche, il était envisageable d’organiser un concert de lieder orchestrés. La soirée se déroula le 29 janvier 1905. Mahler confia la création des mélodies à un baryton de l’Opéra de Vienne, Friedrich Weidemann.
Alma Schindler qui porta le nom d’Alma Mahler en mars 1902, évoqua dans ses Mémoires son incompréhension à l’égard du choix de textes aussi sombres : « Si l’on n’a pas d’enfants, ou si on les a perdus, j’admets que l’on puisse mettre en musique des paroles aussi terrifiantes, mais autrement ? Comment donc comprendre qu’une heure après avoir embrassé et cajolé des enfants en pleine santé, au physique comme au moral, on se lamente sur leur mort ? Je m’exclamai alors : Pour l’amour de Dieu, ne tente pas la fatalité ! »
Les cinq pièces scellent bien au-delà de la force du thème, l’union du lied et de la symphonie. La sobriété mais aussi l’efficacité de l’écriture traduisent l’introversion du propos. Nulle théâtralité, nulle complaisance, mais une ligne épurée et qui annonce déjà Das Lied von der Erde (le Chant de la Terre). L’expression est si novatrice qu’elle fascina tout autant le public de la création que les jeunes musiciens viennois présents. Anton Webern (1883-1945) avoua que la leçon de clarté du lied Nun will die Sonn’ so hell aufgehn l’avait profondément marqué.
S’agit-il toutefois d’un cycle constitué, car bien des éléments évoquent la ballade, l’esprit d’une tragédie médiévale, sans que l’ensemble compose une histoire proprement dite ? Ce sont des climats qui se chevauchent et se répondent au point que Mahler écrivit sur la première page de la partition : « Ces cinq chants forment une entité indivisible. Il faut éviter toute interruption accidentelle et par exemple réprimer les applaudissements jusqu’à la fin du dernier ».
La douceur lancinante du premier lied, Nun will die Sonn’ so hell aufgehn, la monochromie de la voix, l’emploi du glockenspiel évoquant quelque office religieux, mettent en place le cadre du drame. Le second lied, Nun seh’ich wohl, warum so dunkle Flammen, rejoint les harmonies wagnériennes dans un climat symboliste. Changement de décor avec le plus célèbre des cinq lieder : Wenn dein Mutterlein… La tristesse de la voix et du cor anglais laisse le temps comme suspendu au souvenir du visage des enfants. Le quatrième lied, Oft denk’ ich, sie sind nur ausgegangen, annonce le désir de l’adulte de retrouver bientôt les enfants vers cette “colline radieuse”, ce paradis, à peine troublé par un sentiment d’inquiétude.
Le dernier poème, In diesem Wetter, in diesem Braus, plus long que les quatre pages précédentes clôt le cycle avec une apparente sérénité. Le lied nous laisse devant l’incertitude, celle de ces enfants que leur mère a laissé sortir “par ce mauvais temps, cet ouragan et que l’orage a emportés”. L’orchestre enrichit ses couleurs avec des instruments que l’on n’avait pas entendus auparavant : la flûte piccolo, le contrebasson, deux cors ainsi que le tam-tam et le célesta. Mahler renonce à une dimension chambriste pour dévoiler la douceur de cette mère que l’on sent résignée devant l’irréparable.
Laissons l’interprète, Julie Boulianne conclure : « d’une très grande gravité, les textes offrent une dimension expressionniste qui apparaît terrifiante. J’avoue qu’il faut arrêter parfois de penser à la signification des mots que l’on chante pour ne pas être submergé par l’émotion. Je songe alors à des images, à des couleurs. Cette musique si puissante et pour laquelle j’éprouve tant de respect doit être interprétée avec autant de délicatesse que de sobriété. »