Au début des années soixante, Arvo Pärt s’intéresse essentiellement à la musique sérielle dont certaines partitions révélées par la suite en Occident connurent un succès retentissant : Perpetuum mobile (1963), Symphonie n°1 (1964), Symphonie n°2, Concerto pour violon “Pro et Contra” (1966)… Au milieu de cette décennie, il découvre la musique grégorienne dont l’étude modifie radicalement son esthétique musicale. Il rompt, alors, avec le sérialisme et compose des pièces qui intégrèrent le concept de “nouvelle simplicité”. La décantation de l’écriture, la dimension spirituelle des thèmes, le va-et-vient incessant avec les harmonies du Moyen-âge et du XXe siècle, tout cela caractérise les nouvelles œuvres du musicien. Cette rupture avec les avant-gardes des années soixante-dix se double aussi des influences nationales estoniennes représentées, entre autres, par Eduard Tubin, Erkki-Sven Tüür et Velio Tormis. La plupart de ces compositeurs évoluaient alors dans une écriture fortement influencée par Dimitri Chostakovitch et ses disciples, incorporant parfois des sources musicales Baltes ainsi que les courants musicaux de l’Europe de l’Ouest.
Arvo Pärt, comme bien d’autres compositeurs de la zone d’influence soviétique, fut donc considéré comme suspect à la fois par les tenants de l’écriture conformiste soviétique et « traître » en quelque sorte, par les compositeurs nationalistes estoniens. Violemment attaqué par l’Union des compositeurs d’URSS, il fut mis “en quarantaine” et ses œuvres ne furent plus jouées. En 1980, il émigra à Vienne avant de s’installer à Berlin, suivant et précédant des personnalités comme Sofia Goubaidoulina, Giya Kancheli et Valentin Silvestrov. Pour Arvo Pärt, la rupture fut non seulement physique, mais également esthétique : il affirmait son indépendance d’esprit en prenant ses distances avec ses racines.
Fratres est probablement l’œuvre la plus célèbre d’Arvo Pärt. Elle marque une rupture profonde avec ses partitions antérieures. Pour le musicien estonien, la disparition du compositeur anglais Benjamin Britten, en 1976, fut une sorte de révélateur qui lui inspira cette musique.
Fratres connut plusieurs arrangements grâce au soutien sans faille du violoniste Gidon Kremer : version originale pour orchestre de chambre, pour violon et piano, pour ensemble de violoncelles, orchestre de chambre et percussion, violoncelle et piano, etc. En tout une dizaine de lectures depuis la création, en 1977, de la version originale de la pièce que nous entendons.
L’œuvre débute par une formule répétitive très rapide qui offre grâce à ses multiples et infimes modulations et digressions, une variété inouïe de couleurs et de timbres. Le caractère envoûtant de la musique – sa dimension tintinnabulante – creuse les silences abrupts. Elle lui assure une dimension incantatoire.
A Lire
« Arvo Pärt » par Enzo Restagno et Leopold Brauneiss (éditions Actes Sud / Classica, 2012).