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François Dompierre
(1943)
Fantaisie pour piano-fantôme
1. Ouverture maximaliste
2. Fantôme de Ravel
3. Grappes et flèches
4. Fantôme de Gershwin
5. Quelques romantiques
6. Passacaille
7. Conclusion minimaliste
Création : salle Bourgie, à Montréal, au Canada, en avril 2017. Création française : novembre 2017 avec l’Orchestre national de Montpellier sous la direction de Michele Gamba.
Le catalogue du compositeur, orchestrateur, chef d’orchestre, improvisateur, conférencier et animateur québecois François Dompierre, comprend une trentaine de pièces pour orchestre. S’ajoutent également une soixantaine de musiques de films dont celles du Déclin de l’empire américain et de L’Âge des ténèbres de Denys Arcand. Le compositeur nous livre quelques clés d’écoute à sa partition.
« Depuis toujours, les musiciens improvisent. Dès l’aube de l’humanité, les peintures rupestres en témoignent.
Plus tard, dans toutes les civilisations, la musique s’est transmise oralement, d’une tribu à l’autre, d’un royaume à l’autre. Ce sont les Mésopotamiens, les Égyptiens et autres Grecs anciens qui, les premiers, ont pris soin de codifier certaines de ces musiques pour en faire des hymnes à usage du culte. Cette tradition savante a été maintenue par les moines du début de la chrétienté et a abouti à l’écriture grégorienne. Toutefois, dans le peuple de cette époque, ce qui se jouait, se chantait et se dansait émanait de la mémoire collective remise périodiquement au goût du jour par le soin des troubadours.
Au temps de Jean-Sébastien Bach, les musiciens professionnels faisaient déjà usage de notation depuis trois siècles. Mais cela n’excluait aucunement la transmission orale, la spontanéité de l’invention sonore et l’improvisation instrumentale. Bach et ses contemporains ont pratiqué l’improvisation qu’ils considéraient comme un art majeur.
Ce n’est qu’au XVIIIe siècle et essentiellement en Europe que l’usage de l’écriture musicale s’est répandu partout, reléguant ainsi l’improvisation au second plan de l’étude de la musique. Cela a eu pour effet la quasi disparition de cette discipline jadis si importante. Une seule exception : les organistes doivent savoir improviser de manière à s’adapter aux offices.
En revanche, depuis très longtemps, en Amérique et sur d’autres continents, la musique savante a su coexister avec la tradition orale et l’improvisation. Le jazz américain en est l’exemple le plus évident. Heureusement on dit que l’étude raisonnée de l’improvisation musicale de tradition « classique » ferait maintenant l’objet de nouveaux cursus pédagogiques dans quelques écoles d’Amérique du Nord et d’Europe.
C’est pour moi une raison supplémentaire de développer une idée très chère que je poursuis depuis quelque temps : celle de composer une œuvre concertante qui sache combiner l’improvisation instrumentale et la musique écrite.
Mais comment définir une œuvre semblable ? Avec quels moyens devais-je en aborder la création ? Quels thèmes utiliser ? Quel langage employer ? Dans un premier temps, ce sont ces questions et beaucoup d’autres encore auxquelles j’ai été confronté.
Une première évidence s’imposa : la pièce serait bicéphale, création mixte du compositeur et de l’interprète, en conséquence de quoi il fallait d’emblée établir la communication entre celui-ci et celui-là. Une signalisation, un lexique s’imposaient, sans aucun doute. Je l’établirais plus tard. Mais auparavant il me fallait mettre la table.
Quelle démarche adopter, quels sentiers emprunter ? Cette première question me semblait complexe et je mis du temps à y répondre. Un jour, l’évidence m’apparut. Je devais moi-même me mettre à la place de l’improvisateur.
Le thème tout d’abord. Comme il est souvent coutume en improvisation, je m’en imposai un, le plus simple qui soit : une séquence aléatoire des douze sons de la gamme chromatique. Cette séquence, transposable douze fois, me permettrait de multiples utilisations du thème en fonction du langage employé et de la forme choisie.
Ce langage, puisqu’on en parle, que serait-il ? On peut certes enfermer un improvisateur dans un carcan strict, lui imposer une structure inamovible, mais après réflexion, je me suis dit que le plaisir d’improviser provient souvent de la liberté de cheminer au gré du vent sans se préoccuper de formes trop strictes. En ce sens, l’improvisation peut s’apparenter à une promenade. C’est cette voie que j’ai choisie. Je me suis dit que le thème que je m’étais imposé pouvait se décliner de manières diverses, se prêter à la découverte de mondes dissemblables. Et, comme j’avais intitulé ma pièce Fantaisie pour piano-fantôme, je me suis dit qu’elle serait fantaisiste et qu’elle réserverait une belle part aux fantômes. Sans tomber dans le pastiche absolu, j’ai donc prévu quelques clins d’œil à Ravel et Gershwin, un flirt avec les compositeurs romantiques, un parcours rocailleux hors des tonalités classiques, et, pour terminer, une passacaille qui reprend le thème à rebours et en commençant par la fin. Une introduction et une courte conclusion complètent le tableau.
L’œuvre est fantaisiste donc et, je l’assume, un peu hybride, le tout formant une sorte de patchwork dont le dénominateur commun est le thème constamment repris d’une manière ou d’une autre, d’une section à l’autre. Cela donne lieu à un voyage imprévisible à travers des langages divers, un périple qui sera sans doute vécu de manière bien différente selon l’humeur et l’inspiration du voyageur-improvisateur qui empruntera la route. Pour ce dernier, le défi est de taille car le parcours représente une sorte d’épreuve sportive qui mettra en lumière une connaissance étendue des langages musicaux, les capacités d’adaptation stylistique et l’oreille musicale du participant. En route pour de nouvelles aventures ! »
François Dompierre