Johannes Brahms
(1833-1897)
Concerto pour piano et orchestre n°2 en si bémol majeur op.83
Quatre mouvements
I. Allegro non troppo
II. Allegro appassionato
III. Andante
IV. Allegretto grazioso
Date de composition : 1878 à 1881
Date de création : 9 novembre 1881 à Budapest avec le compositeur au piano.
Vingt ans séparent l’écriture du Concerto pour piano n°1 en ré mineur de celui en si bémol majeur. Si le premier était l’œuvre d’un jeune musicien bouillonnant d’idées, cherchant un équilibre entre le respect de la tradition classique et l’innovation romantique, le second Concerto s’inscrit, en revanche, dans les partitions de la maturité. Puissant mais sans lourdeur, profondément optimiste et serein, il révèle l’imagination sans limites du compositeur. On n’y trouve pas non plus un esprit de lutte et de rivalité entre le soliste et l’orchestre.
En 1878, Brahms débute les esquisses du concerto qu’il achève trois ans plus tard. Le travail est interrompu à plusieurs reprises. Il est contraint de s’atteler à d’autres pièces plus urgentes dont le Concerto pour violon.
En effet, il ne peut refuser les prestigieuses commandes qu’on lui passe. Sa notoriété est considérable. Installé à Vienne, il vit magnifiquement de sa musique. Il a abandonné le répertoire lyrique à Richard Wagner et il dispose désormais des moyens et du temps nécessaires pour composer les pièces qu’il souhaite. Il ne s’est aventuré que tardivement dans l’écriture orchestrale après avoir accompli un impressionnant catalogue pour le piano, la musique de chambre et le lied. La Symphonie n°1 date de 1876 – il est alors âgé de quarante-trois ans – et le Concerto n°2 est indéniablement marqué par cette imbrication du piano dans le matériau symphonique.
L’œuvre offre une orchestration si dense qu’elle mériterait le titre de “concerto symphonique”. Cette qualité de l’accompagnement orchestral s’explique par le fait que le concerto fut achevé entre la composition des Symphonies n°2 et n°3. Dans une lettre que Brahms adresse à l’un de ses amis, il évoque non sans humour et pour dissimuler sa fierté « son petit concerto pour piano avec un joli petit scherzo ».
Le nouvel opus est aussi l’un des plus vastes du répertoire. Comme pour le Concerto n°1, le public est à nouveau décontenancé par les dimensions imposantes de l’œuvre : près de trois quart d’heure de musique, quatre mouvements avec, comme dans la symphonie romantique, un scherzo placé en seconde position. Par ailleurs, Brahms réserve une place de choix à certains pupitres de l’orchestre et tout particulièrement au violoncelle dans l’andante. Ce dialogue chambriste au sein même du concerto est une trouvaille qui sera dorénavant reprise par de nombreux compositeurs.
Après la création du concerto, le 9 novembre 1881, le succès a été tel, que durant les mois suivants, il rejoue la partition à vingt-et-une reprises dans de nombreuses villes d’Allemagne.
Le Concerto s’ouvre par un Allegro non troppo au calme trompeur. L’ample courbe mélodique de l’orchestre porte le piano qui entre dès la seconde mesure contrairement au Concerto n°1. Le thème se développe au cor, puis à la petite harmonie et aux cordes. Il offre au piano son unique cadence avant que l’orchestre ne révèle toute sa puissance. La tension dramatique ne cesse de croître jusqu’à un sommet d’intensité qui déploie l’impressionnante technique du soliste. Alors que l’auditeur imaginait une conclusion en forme d’apothéose, le piano et l’orchestre s’attardent dans un dialogue d’une grande délicatesse.
La finesse de l’écriture est tout aussi remarquable dans le mouvement suivant, un scherzo Allegro appassionato en ré mineur. La violence et l’impétuosité romantiques se concentrent dans le premier thème, en opposition avec le second dont le chant est presque plaintif. C’est encore l’idée du fantastique, issue de la pensée schumanienne, qui s’impose. Le second thème est de nature plus angoissée et plaintive. La superposition des climats et des tonalités (ré mineur et ré majeur) est un exercice d’écriture virtuose qui demanda à Brahms de nombreuses esquisses. Le scherzo, capricieux et enjoué, s’achève sur le retour victorieux du premier thème fougueux.
L’Andante débute dans une atmosphère qui nous fait oublier le dynamisme des deux mouvements précédents. Le dialogue avec le violoncelle suggère davantage une pièce de musique de chambre ornementée avec subtilité par le piano. Il prendra parfois l’allure d’un double concerto. Dans la partie centrale du mouvement, Più adagio, les couleurs évoquent un choral liturgique. Ce thème emprunté au lied Todessehnen op.86 n°6 est énoncé aux deux clarinettes. Il traduit un climat contemplatif.
Le finale, Allegretto grazioso, fait songer à quelque rondo composé sur un thème d’inspiration presque naïve. Le piano est accompagné des seuls altos. Là encore, l’esprit chambriste s’impose sur la grande forme concertante. Ce thème glisse vers une seconde idée, au parfum à la fois tzigane et hongrois, à la manière d’un Verbunkos, c’est-à-dire d’une danse de recrutement. Brahms a choisi “d’oublier” momentanément la puissance lyrique du piano et de l’orchestre afin de privilégier l’esprit tzigane de ce passage. Un passage plus doux et lyrique permet d’alléger la pâte sonore. Dans le finale, Brahms fait preuve d’audace en contrevenant à la tradition qui consistait à conclure brillamment et avec la plus grande dynamique sonore. La fluidité du discours a été préservée.
Brahms dédia son Concerto n°2 pour piano au soliste Eduard Marxens (1806-1887) qui fut l’un de ses professeurs. En privé, Brahms avouait ne pas lui devoir grand chose sur le plan technique et musical, si ce n’est d’avoir mis à sa disposition son immense bibliothèque…
A lire
« Johannes Brahms » par Stéphane Barsacq (Ed. Actes Sud / Classica, 2008)