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V Wagner - 13 - Photo Caroline Doutre

[Dossier pédagogique] Aller-retour Bach Glass

Lors du concert scolaire du 7 janvier 2022, nous entendrons des extraits d’œuvres écrites par deux compositeurs que tout sépare à priori, Jean-Sébastien Bach, le Cantor de Leipzig, et Philip Glass, compositeur de musique minimaliste… Lors des précédentes saisons de l’Orchestre National de Bretagne, des concerts scolaires
ont déjà mis en lumière des liens entre Philip Glass et l’époque baroque (Nuit américaine avec ses American four seasons faisant directement référence aux Quatre saisons d’Antonio Vivaldi).

Au programme cette fois-ci des extraits du Concerto pour piano Tirol de Philip Glass, ainsi que du Concerto n°5 pour clavier en Fa mineur BWV1056 de J.S Bach, le tout interprété au piano par Vanessa Wagner…

N’hésitez pas à me contacter pour toute question ou suggestion,

Bon concert!

Hugo Crognier
Enseignant Conseiller relais
hugo.crognier@ac-rennes.fr

I- Les compositeurs, regards croisés

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Une autobiographie de Philip Glass, Paroles sans musique est parue en février 2017, aux éditions La rue musicale (Cité de la musique/ Philharmonie de paris). Le livre est disponible à la bibliothèque du Département Musique et Musicologie, Université Rennes II Villejean.

Chez Fayard, je recommande l’ouvrage de référence ci-dessous sur Jean- Sébastien Bach, disponible dans les mêmes bibliothèques…

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II- Glass formé à Bach auprès de Nadia Boulanger

 
Personnalité incontournable du XXème siècle, Nadia Boulanger a exercé une influence majeure sur la vie musicale de son temps. Pédagogue mêlant une discipline sévère et une grande largesse d’esprit, elle a marqué plusieurs générations de compositeurs, même les plus avant-gardistes. Citons entre autres Aaron Copland, Dinu Lipatti, Daniel Barenboim, John Eliot Gardiner, Astor Piazzolla, Yehudi Menuhim, Quincy Jones, Lalo Schiffrin…

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« Ma formation musicale de base a été très influencée par l’étude de Bach pendant mes études avec Nadia Boulanger. Bien que cette pièce n’est pas directement influencée par Bach, sa musique est par définition une partie de la mienne ».

Philip GLASS,
(Livret du disque, A far cry)

Sur Nadia Boulanger

 
Émission Une vie, une œuvre, France culture
https://www.franceculture.fr/emissions/une-vie-une-oeuvre/nadia-boulanger-1887-1979-la-musique-en-personne

«Mademoiselle» portrait de Nadia Boulanger par Bruno Monsaingeon 
https://www.youtube.com/watch?v=V2GX69XxxyE

 

« Nadia Boulanger, un de mes grands professeurs! Un de mes grands maîtres! Je suis venu la voir après avoir terminé mon éducation musicale aux États-Unis, et on a recommencé ! Pendant plus de deux ans, j’ai étudié avec elle, j’avais 25-26 ans, et j’étais en même temps assistant pour Ravi Shankar. C’était une position étrange. J’avais l’impression que j’avais deux anges sur mon épaule. »

Philip GLASS, archive INA*

 

*https://www.ina.fr/audio/P17020947

III- La musique minimaliste

 
Philip Glass est associé au mouvement de musique minimaliste, ou répétitive, apparu dans les années 1960 aux Etats-Unis. D’autres compositeurs, tels La Monte Young, Terry Riley, Steve Reich ou encore John Adams sont impliqués dans ce courant musical.

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Quelques caractéristiques de la musique minimaliste:

● Réduction délibérée du matériau de composition.
● Schémas harmoniques simples, déduits de l’univers tonal ou modal.
● Formules rythmiques souvent fondées sur la pregnance d’une pulsation.
● Variations progressives à partir d’éléments sonores de base.
● Durée parfois longue des morceaux.
● Influence des musiques extra-européennes (musiques indiennes particulièrement).

IV- Le Concerto pour piano Tirol de Philip Glass

 
Le Concerto pour piano n°1 Tirol, composé en 2000, est le premier concerto pour piano écrit pas Philip Glass. Il s’agit d’une commande du Festival Klangspuren de Stuttgart.

A/ Des enchainements harmoniques simples

Dans ce concerto, la signature musicale de Philip Glass est bien présente, une pâte sonore bien personnelle très rapidement identifiable. D’abord, se reconnaît une écriture très harmonique, avec de nombreux arpèges, sur des accords simples le plus souvent à trois sons. Des enchaînement d’accords sont aussi récurrents dans nombre de ses œuvres ; sa musique est atmosphérique et se prête aisément aux images (elle est d’ailleurs très utilisée au cinéma). Par exemple, dans le second mouvement (qui sera joué lors du concert scolaire), la suite d’accords suivante est structurante:

 

Les notes des accords dans l’extrait ci-dessus sont plaquées au piano (notes jouées simultanément). Quelques mesures plus tard, les notes de ces mêmes accords sont arpégées (jouées une par une):

 

B- Une écriture en polyrythmie

Philip Glass a souvent recours dans ce concerto à une écriture polyrythmique qu’il affectionne. Il s’agit de superposer des formules binaires et ternaires. Concentrons notre attention sur l’accompagnement aux cordes lors de l’entrée du piano du second mouvement… On observe que les violons 1 et 2 doivent jouer 12 notes en 4 temps (soit 4 triolets de croches) pendant que les altos jouent des croches binaires. Cette superposition rythmique binaire/ternaire peut se schématiser ainsi:

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On entend ce même genre de superposition rythmique en 3 pour 2 dans d’autres œuvres de Philip Glass, des pièces pour piano solo, ou encore ses Quatre mouvements pour deux pianos, ici interprété par les sœurs Labèque :

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Bien avant Philip Glass, d’autres compositeurs se sont aventurés dans ce jeu de trois pour deux, à l’image de Claude Debussy dans sa première Arabesque
 

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Les versions de cette Arabesque n°1 diffèrent d’ailleurs énormément selon les interprètes. Il est par exemple intéressant de comparer la version de Aldo Ciccolini et celle de Samson François. Chaque interprète propose un temps musical singulier, personnel, chacun faisant tournoyer à sa manière les triolets au-dessus d’une basse en croches à la main gauche. Le temps ici est souple, sensuel, élastique, davantage senti que mesuré.

V- Le Concerto pour clavier BWV1056 de Jean Sébastien Bach

 
J.S Bach a composé un groupe de concerti pour un, deux, trois et quatre clavecins à Leipzig vers 1730. Le concerto BWV 1056 est l’un des huit concerti pour un clavecin (BWV1052-1059). En tant que directeur du Collegium Musicum, il devait fournir une grande quantité de musique. Tous ces concerti sont des transcriptions d’oeuvres antérieures : l’origine des premier et troisième mouvements du Concerto BWV 1056 est sans doute un concerto pour violon en sol mineur, à moins qu’il ne s’agisse, comme le pensent certains,d’un concerto pour hautbois.

Bach est sans doute le premier compositeur a avoir écrit des concerti pour clavecin et orchestre. Leur forme est celle du concerto italien (mise au point par Vivaldi) : trois mouvements : rapide-lent-rapide. Le répertoire à l’origine écrit pour le clavecin est aujourd’hui souvent interprété au piano (ce sera le cas lors du concert de janvier avec la pianiste Vanessa Wagner). Voici un lien vers une version de référence de ce concerto interprété au piano par Glenn Gould avec le Columbia Symphony Orchestra dirigé par Vladimir Golschmann en 1958:

 
A- Allegro moderato

“Le concerto en fa mineur est un des plus économes que Bach ait composé, mais aussi l’un des plus denses. Le thème du mouvement initial est une merveille de concision expressive. Un seul motif d’une seule mesure répété trois fois, et dans le silence de tout l’orchestre, quatre notes au clavecin seul. L’effet est étonnant de beauté et de puissance.»*

*Luc-André Marcel, extrait de la pochette du disque SMS 2257

B- Largo

Le terme Largo désigne un tempo lent. Notons l’accompagnement obsédant en pizzicato aux cordes et les nombreuses ornementations qui habillent la mélodie au piano. Ce deuxième mouvement, en La bémol majeur, a servi de sinfonia d’ouverture à la Cantate BWV 1056 “Ich steh’ mit einem Fuss im Grabe” (1729).

 
La musique de ce mouvement est utilisée dans une scène du film documentaire d’animation Valse avec Bachir, réalisé par Ari Folman et sorti en 2008.
 

 
Cette scène peut être analysée avec les élèves. Voici un lien vers un cours sur le rapport entre musique et image au cinéma :
https://fr.padlet.com/hugo_crognier/musique_image_accords_desaccords
 
C- Presto

Enfin, le Presto final (mouvement rapide) présente une écriture contrapuntique remarquable. Le contrepoint (point contre point, ou note contre note) est l’art
d’assembler, de superposer plusieurs lignes mélodiques. J.S Bach excellait dans ce domaine (pensons à l’Art de la fugue, aux Variations Goldberg). Dans ce mouvement, nous entendons ainsi de nombreux effets d’écho entre le soliste et l’orchestre.

VI- Prolongements 1: vers d’autres domaines artistiques

 
De nombreux prolongements vers les arts visuels sont possibles… Les sérigraphies d’Andy Warhol, les colonnes de Buren, la Série des Cathédrales de Rouen (Claude
Monet), ou encore le travail de Allan McCollum développent et interrogent dans les arts visuels ce même procédé de répétition de différentes manières.

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Dans le domaine de la littérature, Exercices de styles de Raymond Queneau est un livre qui a la singularité de raconter 99 fois la même histoire (ci-après), de 99 façons différentes!

Le narrateur rencontre, dans un bus, un jeune homme au long cou, coiffé d’un chapeau orné d’une tresse au lieu d’un ruban. Le jeune homme change quelques mots assez vifs avec un autre voyageur, puis va s’asseoir à une place devenue libre. Un peu plus tard, le narrateur rencontre le même jeune homme en grande conversation avec un ami qui lui conseille de faire remonter le bouton supérieur de son pardessus.

VII- Prolongements 2: De la répétition dans la musique baroque

 
Une technique fréquemment utilisée en musique baroque est la basse obstinée, ligne mélodique dans le registre grave qui se répète en boucle.

● Henry PURCELL, Didon et Enée (1689), When I am laid in earth
Basse obstinée chromatique descendante. (lien youtube, début à 1 minute).

● Arcangelo CORELLI, Sonate La Follia, Opus 5 n°12 (1700).

 

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● Johann PACHELBEL, Canon en Ré majeur sur une basse obstinée (1677).

 

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Dans ces exemples, la répétition est un procédé d’écriture utilisé pour créer un arrière plan , un décor sur lequel se pose une voix principale (Lamento de Didon) ou plusieurs voix en imitation (Canon de Pachelbel). Un cadre harmonique structure l’oeuvre, une ligne de basse se répète, et un instrument harmonique (souvent le clavecin) joue les accords qu’elle suggère. Mais cela n’a de sens que pour mettre en valeur un premier plan mélodique qui lui ne se caractérise pas particulièrement dans le procédé de répétition. Dans le cas des compositeurs du courant minimaliste,

«La sempiternelle répétition semble ne rien porter d’autre qu’elle-même, dans une nudité qui, à première écoute, peut paraître déroutante. Le motif qui se répète ne constitue pas un arrière plan, un soubassement qui permettrait à la virtuosité du soliste de se déployer, comme dans le jazz modal de John Coltrane, pour lequel de simples accords, sans cesse réitérés, forment la toile où se déploient les complexes arabesques du jeu du saxophone.»

Johan Girard, dans Répétitions, L’Esthétique musicale de Terry Riley, Steve Reich et Philip Glass,Presse Sorbonne nouvelle, 2010.